MIVILUDES
Un séminaire révélateur
Au rythme d'une séance tous les quinze jours, la MIVILUDES organise un
séminaire d'Octobre 2003 à Juin 2004 sur le thème " Sectes et laïcité
". Parmi les intervenants, on retrouve certes des universitaires, des
représentants des grandes religions, des hommes politiques, incluant des
" tenants et opposants des groupes contestés ".
Dans la mesure où les " opposants " refusaient jusqu'à présent la contradiction
et où les chercheurs sur les nouveaux mouvements religieux étaient peu
ou pas du tout écoutés, on pourrait voir là un progrès. Cependant, une
analyse attentive de l'entreprise révèle une entreprise fortement partiale.
Texte
de présentation
Le
titre lui-même, qui accrédite l'idée qu'il existe " des sectes ", et qui
fait inévitablement référence à la fameuse liste noire de 172 mouvements
tant décriée, est en contradiction flagrante avec les orientations annoncées
de la MIVILUDES qui était censée s'occuper de "dérives " et d'attitudes
" et non de groupes en tant que tels.
Le
texte de présentation du séminaire confirme bien cette tendance, promouvant
une logique d' "assimilation " égalitaire plus que d'intégration respectueuse
des différences, prenant ainsi fait et cause pour un courant de pensée
probablement très minoritaire en France. Après avoir présenté de façon
peu crédible la France comme " le pays de la liberté absolue de conscience
", la position française est ensuite artificiellement opposée à la réalité
" outre-atlantique ", passant sous silence les nombreuses critiques et
inquiétudes venues du sein même de l'Europe contre la politique répressive
menée par les gouvernements précédents, et le soutien appuyé (probablement
un des seuls aujourd'hui) du régime totalitaire Chinois à cette même politique.
La
composition des intervenants
Ecartant
tout représentant des principaux intéressés - les mouvements mis à l'index
par l'Etat - la composition des intervenants reflète assez bien le fort
déséquilibre qui sévit au sein des institutions officielles chargées de
la question - les commissions parlementaires, la MIVILUDES et son conseil
d'orientation.
On
peut certes constater que 23 intervenants sont des universitaires, engagés
ou non, opposés ou pas au droit d'existence et d'expression des nouvelles
spiritualités.
Cependant,
au total, parmi les 53 intervenants, on trouve 37,8% de militants " anti-sectes
" de longue date, plus 9,4 % d'attaquants occasionnels (journalistes,
intervenants dans des congrès). Ceux-là soutiennent en gros la thèse du
rapport parlementaire selon laquelle il y a d'un côté les religions, de
l'autre, les sectes, les secondes étant cataloguées comme dangereuses
et devant être attaquées ouvertement par la puissance publique. Près de
la moitié du lot, pour un courant très minoritaire dans la population.
On
trouve 3 ou 4 universitaires - moins de 10% - ayant réellement étudié
de façon sérieuse et impartiale les minorités religieuses françaises,
sur le terrain, suivant les règles de déontologie classiques. C'est très
peu. Fait révélateur, la séance " Pratique de terrain " donne uniquement
la parole à 4 pourfendeurs résolus, animateurs de groupes et formations
très fortement connotés.
On
note également la présence du président de l'Ordre des médecins, adversaire
déclaré des médecines non-conventionnelles, seul représentant de sa profession
avec le Dr Parquet, lui-même opposant déclaré des minorités religieuses.
Pour
le reste, on trouve des personnalités qui n'ont pas publiquement exprimé
leur sentiment sur ce sujet - et on sait combien le côté émotionnel est
omni-présent dans ce débat, perturbant l'exercice de la raison et poussant
même parfois à oublier le simple respect des lois. On peut cependant craindre,
comme le démontre malheureusement l'expérience, que les personnes n'ayant
pas étudié personnellement le sujet sur le terrain ne soient imprégnés
de clichés et de contre-vérités, n'ayant pas accès aux documents et faits
originaux.
Concernant
ceux qui ont fait de l'intolérance un combat ou un fonds de commerce,
on pourrait citer fort à propos une analyse d'un sociologue relatée dans
l'excellent livre Les nouvelles formes du sentiment religieux : un défi
pour la laïcité moderne, paru chez l'Harmattan : il fait remarquer qu'à
l'époque de l'anti-sémitisme triomphant, " n'importe quel pamphlétaire
anti-sectes était considéré comme un spécialiste des sectes (comme aujourd'hui
en France) et n'importe quel auteur antisémite pouvait être considéré
comme un spécialiste des questions raciales. "
On
pourrait aussi citer Alain Vivien, l'ex-président de la MILS, organisme
prédécesseur de la MIVILUDES, qui, de façon très révélatrice, affirmait
qu'il ne fallait pas essayer de comprendre les minorités religieuses,
car c'était déjà les accepter. Tout un programme !
On
peut aussi remettre en cause les travaux de certains qui, lorsqu'ils daignent
approcher le sujet concret de leur " étude " plutôt que de compiler et
recopier des textes écrits par d'autres, affirment sans sourciller que
les règles de déontologie scientifique ne s'appliquent pas à ce sujet.
Le
déroulement du séminaire
Les
mouvements et groupes qui constituent le sujet même de ce séminaire ne
sont pas conviés au débat, ce qui paraîtrait un minimum dans un pays démocratique.
Déception,
nous retrouvons donc là une logique proche de l'ancienne MILS qui, dans
un autisme superbe, sourde aux critiques internationales, refusait le
dialogue avec les minorités qu'elle attaquait. On se rappelle également
l'attitude du Parlement qui voulait refuser l'accès des séances publiques
aux membres des minorités religieuses, au mépris de la démocratie la plus
élémentaire.
Conclusions
Dans
l'un de ses rapports, la MILS n'avait pas caché qu'elle manquait de caution
universitaire pour étayer son action, et qu'il faudrait susciter des études
sur les nouvelles religions et spiritualités émergentes - tout en s'interdisant
de les comprendre - tâche évidemment anti-scientifique. L'auteur en profitait
pour rejeter explicitement les travaux existants des spécialistes de la
question, dont les conclusions n'avaient pas l'heur de plaire.
Une
citation de Camus résonne ici comme un avertissement : " Toute forme
de mépris, si elle intervient en politique, prépare et instaure le fascisme.
"
Vu
le saupoudrage de quelques chercheurs de terrain et spécialistes sérieux
du sujet, noyés dans une véritable division de militants " anti-sectes
", et dilués parmi une vingtaine d'autres intervenants venus parler de
sujets plus généraux, on peut craindre que l'audience, restreinte à 80
places, n'entende un discours fortement coloré, et que le compte-rendu
final soit une nouvelle fois un rapport biaisé, devenant la caution "
universitaire " d'une politique partiale.
Petite
consolation : à la différence du rapport parlementaire de 1996, les auteurs
ne bénéficieront pas de l'immunité parlementaire.
18 Octobre 2003
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