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CAP Liberté de Conscience - Liberté de religion - Liberté thérapeutique

Peut-on établir une différence objective entre sectes et religions ?

Par Anne Morelli

janvier 2009

 
À cette question les réponses fusent généralement : les sectes sont nuisibles, dangereuses, à surveiller de près ; les religions, elles, ont un bon fond (bien que parfois perverti), elles comblent des aspirations humaines naturelles et sont infiniment respectables.

Ce distinguo n’est pas seulement généralisé chez les croyants des grandes « religions » mais se retrouve aussi chez bon nombre de libres-penseurs et rationalistes, tout au moins dans certains pays d’Europe comme la France, l’Allemagne, l’Autriche et la Belgique francophone.

Or cette différence « évidente » entre sectes et religions ne résiste pas à l’analyse.

Lorsqu’en Belgique, la Commission parlementaire sur les sectes, réunie en 1996, décida de consulter des experts en la matière, elle fit venir d’universités différentes et de spécialités diverses des professeurs, dont j’étais. Seuls les théologiens affirmèrent détenir des critères pour distinguer les « bonnes » religions des mauvaises [1]. Sans s’être nullement concertés, les autres professeurs, confrontés à la question « quelle est la différence entre sectes et religions ? » répondirent avec une belle unanimité qu’il n’était pas de critères fiables permettant de séparer les unes des autres.

Tous les critères objectifs imaginés pour caractériser les sectes (taille du groupe, longévité, sacrifice de la vie personnelle, pouvoir inconditionnel du chef, signes distinctifs, obéissance, coupure de la vie « normale » etc…) pouvaient être appliqués aux grandes religions ou au moins à certaines formes qu’elles ont prises, comme le monachisme [2] ou la vie conventuelle.

Nous allons passer en revue ici quelques exemples de ces pseudo-critères de distinction entre sectes et religions.

L’argent et le sexe

Mr Homais vous le dira : les sectes en veulent à votre argent et cherchent à dominer ou exploiter vos pulsions sexuelles. Dans un petit essai polémique [3] je me suis amusée à comparer la situation décrite pour les sectes, au catholicisme de mon enfance.

Trois de mes tantes étaient entrées au couvent toutes jeunettes. Leur ordre n’avait-il pas dûment dompté leurs pulsions sexuelles et en outre, dans leur cas, étouffé toute aspiration à la maternité ? Était-ce vraiment moins grave que les mariages groupés où M. Moon fait convoler ses jeunes adeptes en justes noces après avoir évalué leurs chances de bonne entente ? Pourquoi ceux-ci font-ils scandale et pas la chasteté imposée aux religieuses ? Toutes les religions n’aspirent-elles pas à contrôler la sexualité de leurs membres ? Elles s’intéressent passionnément à leurs pratiques, veulent tout en connaître et y plantent leurs interdits.

Mes trois tantes étaient entrées au couvent accompagnées d’une dot importante qui leur garantissait de ne pas devoir effectuer des travaux manuels avilissants. Mais si elles avaient décidé – semant par là même le déshonneur pour toute la famille – de quitter le couvent, cette somme ne leur aurait en aucun cas été restituée. Lorsqu’un scandale financier ébranle le Vatican ou que les Capucins, dévôts de Padre Pio, sont convaincus de détournements de fonds, personne n’ose dire – ni même penser – que ces escroqueries font intrinsèquement partie de la foi catholique ou sont une conséquence normale de ses structures.

Mais si une secte « oublie » de payer ses impôts ou profite (comme le faisaient autrefois les prêtres) de la détresse ou de la sympathie d’une per-sonne pour se faire attribuer des dons ou héritages contestés par la suite, ces malversations ne seront évidemment pas présentées comme de funestes exceptions, mais comme des pratiques caractéristiques et inhérentes aux sectes.

Nuisance

La nocivité pourrait être un critère de distinction entre sectes et religions s’il pouvait être objectivé.

Qu’est-ce qui est nocif ? Se « faire du mal » ? Se priver de certaines nourritures comme les Chartreux, qui en outre ne dorment jamais que quelques heures d’affilée, sont coupés du monde et de ses nouvelles et que la règle du silence isole dans un univers qu’on peut, de l’extérieur, juger psychotique ?

Les pénitents catholiques, qui se flagellent, ont certes le droit de le faire puisque le masochisme n’est pas punissable par la loi, mais ce comporte-ment est-il plus ou moins « nuisible » que celui des Krishna végétariens ?

Par ailleurs on a vu des sectes pratiquer le suicide collectif [4]. Ce comporte-ment, unanimement réprouvé s’agissant d’elles, est magnifié s’agissant des grandes religions. Les pèlerinages à Massada, au-dessus de la mer Morte, se terminent invariablement par un refrain admiratif à propos de ces 2.000 Juifs qui se sont – plus ou moins volontairement [5] – suicidés pour maintenir leur foi et leurs coutumes et ne pas être romanisés.

Quant au nombre de morts causées par les « sectes » ou par les religions, le combat est par trop inégal. Alors que les sectes ne peuvent aligner au total que quelques dizaines de victimes (mais fort efficacement médiatisées), chaque jour les victimes des haines soutenues par les grandes religions sont des centaines : il ne fait pas bon être catholique en Algérie, juif en Irak, musulman en Inde, hindou au Pakistan, témoin de Jéhovah en Israël ou baptiste en Ukraine…

Dans ce domaine, les résultats des petits entrepreneurs indépendants que sont les sectes sont minables face à ceux des grandes multinationales de la religion.

Endoctrinement versus catéchèse

Peu de gens trouvent choquant qu’on définisse les enfants par la religion de leurs parents : des petits juifs, des petits musulmans, des petits catholiques… Et aucune association luttant pour les droits de l’enfant ne s’insurge de les voir participer aux « Catho Pride » ni fréquenter les mosquées ou synagogues. On condamne rarement comme une maltraitance la violence implicite qui préside au choix du futur Dalaï lama, enlevé petit enfant à sa famille.

Mais les mots ont évidemment un poids pour valoriser ou dévaloriser un groupe. Quoi de plus honorable que de « transmettre sa foi » à ses enfants ou de les envoyer au catéchisme ?

Mais s’agissant de « sectes » on parlera immédiatement d’endoctrinement, ce qui participe à l’idée de violence mentale faite à l’enfant ou au futur « adepte ». Ce dernier terme est lui-même péjoratif car, s’il s’agit d’une religion honorable, on parlera plutôt de fidèle ou de croyant. Il est bien entendu que si l’on adhère à une « secte » ce ne peut être qu’à la suite d’un bourrage de crâne intensif. Certaines législations prétendent même le combattre en l’appelant « manipulation mentale ». Mais ce terme n’est applicable qu’aux sectes, pas à l’honorable citoyen qui se convertit à l’islam ou au christianisme à la suite d’un processus spirituel respectable. La conversion est pourtant souvent décrite comme immédiate : saint Paul sur le chemin de Damas ou Constantin sur le Pont Milvius ont été frappés soudainement par la révélation. Si un dévot de Krishna ou un Pentecôtiste conte une histoire semblable, il est difficilement pris au sérieux…

Petite religion = secte ?

On pourrait croire que la différence entre sectes et religions peut être mesurée à l’aune objective de leur nombre de croyants (pour les « sectes » on emploiera de préférence on vient de le souligner, pour les désigner le terme péjoratif d’adeptes).

C’est loin d’être évident.

À Bruxelles il y a vingt-deux salles du Royaume des Témoins de Jéhovah, pour la plupart bondées, et quatre synagogues qui, elles, le sont rarement. Mais il ne viendrait à personne l’idée de mettre sur le même pied honorable judaïsme et Témoins de Jéhovah.

Peut-être parce qu’on réserverait le terme de religion aux confessions les plus anciennes ? Faux aussi. La référence à Krishna est millénaire, les Anabaptistes sont plusieurs fois centenaires mais cela ne les empêche pas d’être étiquetés « secte » et non religion.

Chez nous du moins. Car on peut avoir une étiquette différente selon l’endroit où on se trouve. Les Mormons sont considérés comme « secte » par nos gouvernements mais forment la majorité des croyants de l’État d’Utah où ils n’ont forcément rien de marginal.

La Belgique fournit un assez joli exemple de la double vision qu’on peut avoir d’un même groupe. La ministre francophone de l’éducation a fait distribuer aux lycéens une petite brochure de mise en garde contre les « sec-tes », avec une liste nominative des mouvements dont il faut se méfier. On y trouve explicitement cité le mouvement Steiner, dont les écoles sont reconnues et subsidiées quelques kilomètres plus loin par la Flandre !

Si donc ni la taille du groupe ni son ancienneté ne constituent un critère de distinction entre « sectes » et religions, on peut imaginer que l’emprise psychologique sur les membres ou la difficulté de sortir du groupe vont enfin apporter une solution à notre problème. Mais les directeurs de conscience, la soumission exigée des novices et les difficultés (matérielles ou psychologiques) à sortir des ordres jusqu’à une époque toute récente infirment aussi ce critère.

La rationalité des uns et pas celle des autres ?

Il peut être commode d’imaginer que dans les sectes on croit et propage des balivernes, contrairement à ce qui est diffusé dans les religions.

Évidemment le contenu doctrinal des « sectes » a souvent de quoi nous étonner. Telles attendent le retour du Christ, telles autres celui des extra-terrestres ou la réunion des familles à travers toutes leurs générations…

Ce n’est certes guère rationnel mais dans les religions auxquelles nous accordons respect, n’est-il pas question de l’attente du Messie, de la parousie [13], de la virginité d’une mère ou du retour des morts à la vie ?

Ces « balivernes » font partie de notre culture et nous avons appris à ne pas en rire ou au moins à ne le faire qu’en privé, mais objectivement les questions qui ont taraudé les théologiens pendant des siècles (les enfants non baptisés vont-ils au purgatoire ? Marie est-elle restée vierge pendant son accouchement ? Quelle est la nature de l’« âme » ?…) n’ont rien non plus de rationnel.

Quelle différence alors ?

Il est pourtant évident que « sectes » et « religions » ne sont pas des synonymes et que le premier terme est entaché d’un sens péjoratif. Dans un livre balayant cette double classification depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours [14], nous avons essayé de comprendre comment et pourquoi les groupes religieux étaient enregistrés sous l’une ou l’autre étiquette.

La réponse la plus évidente est que l’honorable label de « religion » est octroyé à l’un ou l’autre groupe par le pouvoir politique. Ceux qui n’ont pas eu droit à cette appellation contrôlée sont étiquetés « hérésies » ou « sectes », selon les époques.

Aux premiers vont les honneurs et le respect mais ils doivent en échange légitimer le pouvoir politique. Les autres groupes religieux sont à surveiller, poursuivre, voire exterminer sans que rien dans leurs comportements sociaux ni dans leurs croyances ne les prédispose à ce sort particulier.

C’est le pouvoir politique qui décide du sort des uns et des autres et légifère en ce sens. La liste de sectes « nuisibles » et les subsides publics aux grandes religions (plus ou moins officiels selon les pays) sont à comprendre dans cette logique.

Anne Morelli est directeur-adjoint du Centre interdisciplinaire d’étude des religions et de la laïcité de l’Université Libre de Bruxelles.

Avec l'aimable autorisation de l'auteur

 

 


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