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CAP
LC : Bonjour, pouvez-vous nous raconter les circonstances
qui ont conduit à votre internement en hôpital
psychiatrique ?
Jean-Marie
Ployé : Plusieurs choses mont motivé
à écrire ce livre mais pour moi lessentiel
était de me séparer dun paquet de casseroles
que je tirais depuis un moment et dont je ne savais pas doù
elles venaient. Cela a été un travail sur moi
et il a fallut que je « pète les plombs »
pour mapercevoir quil y avait des choses de lenfance
qui étaient enfuies et que je narrivais pas à
sortir.
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Dune
manière chronologique, dans les années 70, jai créé
un groupe vocal qui est devenu professionnel et nous avons travaillé
pendant 31 ans ensemble. Nous écrivions des textes sur des thèmes
donnés et nous avons fait le tour du monde. Dans les années
97-98, jai commencé à avoir des problèmes
de planning dans ce sens que javais les tournées du groupe
à maîtriser, javais mon propre planning car je faisais
du cinéma, avec Jean-Pierre Mocky et avec Roman Polanski.
Je
faisais aussi du théâtre et un autre élément
concomitant, je me suis cassé le ménisque du genou droit
en jouant au tennis et, suite à cet incident, jai goûté
à la morphine qui est devenue une addiction, une dépendance
très forte. Au même moment mon père est décédé,
il était plus quun père cétait un ami,
cétait quelquun à qui je pouvais tout raconter,
qui ne jugeait jamais personne.
Ensuite,
jai rencontré un propriétaire de chevaux de course
qui ma fait gagner dans un premier temps beaucoup dargent
et ensuite fait perdre beaucoup.
Tout
cela sest passé entre 1997 et 2001. Cest un coup
de téléphone de ma banque qui a tout déclenché
: « écoutez, M. Ployer, vous êtes débiteur
de 200 000 francs, quest-ce quon fait ? Il faut que dans
8 jours votre compte soit créditeur. »
Donc
je ne me suis pas trop démonté, je suis allé voir
des amis qui mont prêté les 200 000 francs. Je suis
allé jouer les 200 000 francs au casino dEnghien-les-bains,
alors que je navais jamais mis les pieds dans un casino. Les choses
sont simples, jai misé les 200 000 francs, si je gagnais
je remboursais mes amis et la banque ou si je perdais cela doublait
ma dette. Dans ce cas javais prévu à laide
du livre « suicide mode demploi » de me suicider.
Donc
jai joué et jai perdu et je me suis suicidé.
Jai essayé en tout cas et même la mort na pas
voulu de moi, jai même raté ma mort. Il y avait une
dose létale à prendre pour partir et moi pour être
sûr de partir jai doublé la dose mortelle, ce qui
ma fait vomir et cest ce qui ma sauvé. Jétais
cinq jours et cinq nuits dans le coma, limite entre la vie et la mort.
A ma sortie de coma ma femme ma fait interner dans un hôpital
psychiatrique et cela a duré neuf mois.
CAP
LC : Comment sest passée votre période dinternement
?
Jean-Marie
Ployé : Je ne parle que de mon expérience. Je ne dis
pas que cela se passe partout de la même façon. Ce livre
est mon expérience dans cet hôpital avec ce psychiatre.
Jétais dans pavillon où il y avait 25 patients qui
étaient malades denviron une quinzaine de pathologies différentes.
Il y avait aussi des gens de central (prison) qui venaient dans cet
hôpital psychiatrique pour recevoir des soins en plus des 20 ou
30 ans quils avaient pris pour avoir tué leur femme etc.
Et ces gens là disaient, je les ai eus à ma table plusieurs
semaines, « vivement que lon retourne en prison tellement
ici cest lenfer ».
Vous
errez dans 75 m2 et vous êtes 25 en pyjama, il ny a aucune
intimité, pas de parloir. Vous êtes encamisoler
chimiquement, lobotomisé, vous avez 80 % de votre cfficient
intellectuel qui est inhibé. Vous ne pouvez plus lire ni écrire.
Cest une lobotomie chimique.
CAP
LC : Est-ce que vos proches ont pu vous rendre visite durant cette
période ?
Jean-Marie
Ployé : Les visites sont scandaleuses ; bien sûr vos
proches, vos amis, votre famille peuvent venir vous rendre visite, mais
dans quelles conditions ! On les fait entrer dans le pavillon de 75
m2 qui nous est imparti. Il ny a pas de parloir, il ny a
aucune intimité dans cette grande pièce.
Je
me souviens la première fois que ma plus jeune fille est venue
me voir. Il y avait un patient qui marchait à quatre pattes et
qui avait pour habitude de lécher les chaussures des infirmières
quil aimait bien. Il est venu vers ma fille et a commencé
à lécher les chaussures de ma fille, elle est sortie au
bord de lévanouissement.
Les
conditions quils découvrent sont vraiment choquantes. Vous
imaginez, aller voir un proche entouré de schizophrènes,
de dépressifs, de paranoïaques etc. !
CAP
LC : Comment vous en êtes-vous sorti ?
Jean-Marie
Ployé : Il se trouve que je suis assez rebelle. Donc je me
suis rebellé contre linstitution psychiatrique, même
avec cette camisole chimique, je me suis enfui une première fois.
Et là on ma repris, en pyjama on ne va pas loin.
Suite
à cette évasion, on ma fait connaître la cellule
disolement, ce qui correspond au mitard : cest une pièce
de 3 mètres sur 2 avec 2 mètres de plafond. Il ny
a pas de lumière, juste une petite lucarne qui diffuse la lumière
du jour, ça donne sur un mur, cela ne diffuse pas grand-chose.
Vous navez pas de montre, pas de repère de temps et au
bout de quelque jours vous perdez complètement la notion du temps.
Jai passé quinze jours dans ce mitard avec une couverture
et un seau de toilette.
La
plupart du temps, les gens ne sen sortent pas. Les statistiques
montrent que 80 % des gens qui sont internés dans un hôpital
psychiatrique y reviennent une ou plusieurs fois.
Jai
eu la chance davoir la thérapie de lécriture.
Je pouvais difficilement écrire à cause de la camisole
chimique, jécrivais des petits mots en tremblant sur des
morceaux de papier que je pliais en quatre et que je cachais dans des
boîtes Banania. Au bout dun certain nombre de mois, quand
cela a été mieux, jai cessé de prendre mes
médicaments. Dès que jai cessé de les prendre
cela a été beaucoup mieux et jai commencé
à constituer le puzzle qui est la base du livre. Je savais que
si je nécrivais pas au jour le jour, ma mémoire
me trahirait. Jen suis sorti au bout de neuf mois, cela aurait
pu durer plus longtemps. Neuf mois pour une simple dépression
cest simplement scandaleux.
CAP
LC : Comment sest passée votre sortie ?
Jean-Marie
Ployé : Quand je suis sorti de là, on ma proposé
une colonie sanitaire qui est un foyer thérapeutique, une sorte
de sas entre linstitution psychiatrique et la vie active ; on
est dans des chambres à deux, trois ou quatre. Vous pouvez sortir
la journée et là jai commencé à me
reconstruire, à réunir les papiers pour avoir le RMI,
car je navais pas un sou, jai commencé à chercher
du travail pour trouver un appartement. Je navais plus rien, mon
épouse avait été obligée de vendre ma propriété
pour payer mes dettes. Jai eu la chance de trouver des gens qui
mont refait confiance. Cela fait à peu près six
ans que je suis sorti, je me suis reconstruit en six ans, il ma
fallu ce temps pour écrire ce livre. On ne sort pas de 9 mois
de psychiatrie indemne, ce nest pas possible, la plupart des gens
nen sortent pas.
Ce
livre ma permis de me regarder à nouveau dans un miroir.
il est une reconnaissance, une renaissance dun certain talent
artistique. Je suis revenu maintenant dans le même état
desprit de création artistique quavant mon internement.