Coordination des Associations & Particuliers pour la Liberté de Conscience
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CAP pour la Liberté de Conscience - Liberté de Religion - Liberté de Conviction
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Déclaration de CapLC concernant la nomination de Monsieur Georges Fenech au poste de Président de la Miviludes.

Par Thierry Bécourt

CAP Liberté de Conscience

octobre 2008

 

13ème Réunion sur la mise en œuvre de la Dimension Humaine
OSCE - 6 octobre 2008 - Varsovie
Discrimination Religieuse en France
Déclaration de CapLC concernant la nomination de Monsieur Georges Fenech au poste de Président de la Miviludes.

La Coordination des Associations et des Particuliers pour la Liberté de Conscience (CAP) est une association interreligieuse créée en 2000 pour défendre la liberté de pensée des minorités religieuses en France. Le but de CAP est de s'opposer à la discrimination qui limite le droit à la liberté de conscience et de croyance en France et de dénoncer les actions qui violent des droits de l'homme et constituent une menace contre les libertés fondamentales. Les membres de CAP sont issus de toutes les minorités visées par les mesures discriminatoires du gouvernement sous l'appellation de " sectes ".

Le 19 Septembre 2008, le Premier Ministre M. Fillon a nommé M. Georges Fenech, ancien magistrat et Député, comme Président de la Miviludes (Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires). Créée le 28 Novembre 2002 par le 1er Ministre de l'époque, c'est une instance interministérielle chargée de recueillir des informations sur les mouvements religieux et d'informer le public des "risques de déviances sectaires". La Miviludes est composée d'un Président, d'un Secrétaire général et de 12 fonctionnaires issus de divers ministères. Son Conseil de direction comprend 18 fonctionnaires venant de neuf ministères et son Conseil Consultatif comprend huit députés, huit représentants d'associations et 14 experts.

Mr. Fenech a pris ses fonctions comme Président de la Miviludes le 1er Octobre 2008. Sa nomination préoccupe gravement notre association ainsi que de nombreuses organisations religieuses en France.

Nous montrerons ci-après que M. Fenech n'est pas digne de ce haut poste, à cause de ses actions controversées et des poursuites judiciaires dont il fait l'objet. De plus, M. Fenech fait preuve depuis des années d'un manque complet d'objectivité et de neutralité dans le domaine de la tolérance religieuse. Sa nomination constitue un recul important pour les libertés religieuses et la tolérance dans notre pays.

M. Fenech a été nommé magistrat en 1984. Il a été président de l'Association professionnelle des magistrats (APM), un syndicat de magistrats, de 1996 à 1998. Il a été élu député en 2002 et s'est mis en disponibilité de son poste de magistrat.

Un passé controversé

M. Fenech a un passé qui le rend impropre à occuper la fonction de président de la Miviludes.

- En juillet 2001, M. Fenech a été mis en examen pour " recel d'abus de biens sociaux " concernant une somme de 15200 euros qu'il a reçu au nom de l'Association professionnelle des magistrats (APM). L'accusation mentionne que les fonds proviendraient directement de ventes d'armes illégales avec l'Angola. Le renvoi devant le tribunal correctionnel, qui concerne 40 accusés et dont l'ordonnance fait 468 pages, a été prononcé en avril 2007(1). Le procès de cette affaire doit justement démarrer le 6 octobre 2008.

- M. Fenech a été renvoyé devant le tribunal le 16 octobre 2008 suite à une plainte pour insultes et diffamation déposée par des dirigeants du parti politique La France en Action. M. Fenech avait affirmé que ce parti était lié à des organisations sectaires et finançait secrètement un certain nombre de " sectes " dont il faisait aussi la promotion.

/En mars 2008, M. Fenech a été déchu de son mandat de député par le Conseil constitutionnel suite à des irrégularités financières dans ses comptes de campagne, qui constituaient une "infraction" aux articles 52-8 et LO136-1 du code électoral. Il a été déclaré inéligible pendant un an.

/En décembre 1998, la candidature de M. Fenech au poste de Premier juge d'instruction de Paris a été refusée par le ministère de la Justice en raison de " la tenue de propos à caractère antisémite " dans la revue que dirigeait M. Fenech en tant que président de l'APM " et des interrogations que suscite, au regard de la magistrature, sa participation à une mission non officielle d'observation des élections présidentielles gabonaises ".

Quelques jours après l'annulation de son mandat de député, en avril 2008, M. Fenech a été nommé par le Premier ministre pour accomplir une étude et une évaluation du système judiciaire afin de renforcer son efficacité dans la lutte contre les " dérives sectaires ".

Le 27 août 2008, M. Fenech était nommé Premier Substitut à l'administration centrale de la Justice. Des inquiétudes ont été formulées par certains magistrats suite à cette nomination indiquant que M. Fenech pourrait utiliser sa nouvelle position pour faire pression dans son procès en cours. Ce conflit d'intérêts a été souligné dans le Journal 'Libération' du 23 Juillet 2008 sous le titre " Retour controversé de G. Fenech parmi les juges : la nomination de l'ex-député UMP renvoyé devant le tribunal correctionnel inquiète certains magistrats "

Le manque d'Objectivité en violation des Principes de Non-discrimination et d'Objectivité

En plus de son passé controversé, M. Fenech a aussi pris des positions contre les droits des organisations religieuses stigmatisées comme "sectes" en France, violant ainsi les principes de non-discrimination et d'égalité de ces organisations.

La position intolérante de M. Fenech envers les minorités religieuses est mise en évidence par le fait qu'il ne croit pas dans le dialogue avec les groupes qu'il étiquette comme "mouvements sectaires" malgré le fait qu'il n'y ait aucune définition de cette expression. Comme le montre son interview du 8 juin 2007 à Radio Sud :

" Je n'ai jamais dialogué avec quiconque pourrait avoir des liens avec un mouvement sectaire. "

Cette position extrémiste enfreint l'Article 17 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne(2) que la France doit respecter et qui stipule :

1. L'Union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres.

2. L'Union respecte également le statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les organisations philosophiques et non confessionnelles.

3. Reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique, l'Union maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ces églises et organisations.

M. Fenech n'est manifestement pas la personne qui garantira le respect de cet article ; sa nomination à la tête d'une mission interministérielle sous l'égide du Premier ministre est donc inappropriée.

Cette position intolérante de M. Fenech concernant les minorités religieuses en France est aussi mise en évidence par ses actions en tant que Président de la Commission d'enquête parlementaire sur les dangers des enfants dans les sectes. En juin 2006, avec seulement 10 députés présents sur les 577 que compte l'Assemblée nationale, huit députés parmi les présents se sont auto-nommés membres de la Commission d'enquête parlementaire, la troisième en onze ans sur les religions minoritaires, cette Commission se concentrant sur la question des mineurs.

La nomination de cette commission d'enquête sur la question des mineurs est ironique au moment où le Rapporteur des Nations Unies sur la Liberté de Religion ou de Conviction publiait un rapport, en mars 2006, après sa visite en France, dans lequel elle précisait en parlant des deux précédentes commissions d'enquête parlementaire et de la politique qui avait suivi : "la condamnation publique de certains de ces groupes, ainsi que la stigmatisation de leurs membres, se sont soldées par certaines formes de discrimination, notamment à l'égard de leurs enfants".

Plutôt que d'essayer de réparer ces manquements aux droits de l'homme identifiés par le Rapporteur de la commission pour la Liberté Religieuse de l'ONU, l'expert le plus haut placé aux Nations-Unies sur la question des droits de l'homme et de la liberté de religion, la Commission d'enquête parlementaire sur les sectes, sous la direction de M. Fenech, a contribué à renforcer l'intolérance religieuse envers les enfants des familles de religions minoritaires, en conduisant des auditions partiales pour justifier des lois draconiennes et des " campagnes de sensibilisation " destinées à :

- supprimer la garde des enfants pour les parents de minorités religieuses ;

- stigmatiser et marginaliser ces enfants dans les écoles relevant de l'Education nationale ;

- soumettre ces enfants à des examens et à un traitement discriminatoire ;

- refuser aux parents leur droit à élever leurs enfants conformément à leurs propres convictions religieuses ;

- sensibiliser les magistrats contre les membres de religions minoritaires par des séminaires de formation sur les prétendues sectes(3) ;

- compléter la loi " About-Picard ", très controversée et critiquée sur la scène internationale, par d'autres dispositions répressives.

Les méthodes de M. Fenech et de sa Commission ont été critiquées par le Département d'Etat Américain dans son Rapport 2007 sur les Droits de l'Homme. Le Département d'État a noté que :

" Les membres des Témoins de Jéhovah ont affirmé que durant la période d'enquête de la Commission, le rapporteur et le secrétaire de cette commission les ont ouvertement attaqués, les décrivant comme des délinquants et des criminels et présentant leurs activités comme des activités " mafieuses "

. Le rapport de la Commission a également suscité des critiques d'autres religions minoritaires, qui ont qualifié les conclusions de la Commission d'affront à la liberté de conscience et de croyance ".

Pendant une audition publique de la Commission présidée par M. Fenech, Jean-Pierre Brard, secrétaire de cette Commission, a posé à Jean-Yves Dupuis, représentant du Ministère d'Éducation nationale, qui venait d'expliquer que les enfants de Témoins de Jéhovah étaient plutôt considérés comme des enfants modèles par l'Éducation nationale, la question suivante : " N'ai je pas raison de considérer que l'Éducation nationale a pour objectif de développer le sens critique ? Peut-on considérer que les Témoins de Jéhovah fabriquent des enfants handicapés, au plan intellectuel ? "

M. Fenech souleva le " problème de la légitimité de l'intervention d'un juge, d'un procureur, d'un assistant social alors que rien n'indique un danger ", quand ces personnes se trouvent confrontées à " une famille qui semble normale, qui ne justifie aucune intervention externe mais dont les enfants sont élevés dans une cellule familiale sous emprise sectaire. " Il fit la suggestion suivante : " Ne peut-on pas envisager une intervention de plein droit dès qu'on constate qu'un enfant appartient à une famille et à un certain groupe ? "

M. Fenech sous-entend que même si une famille "semble normale" et n'a besoin d'aucune "intervention externe", l'État peut intervenir à cause de l'existence prétendue d'un danger pour l'enfant par la seule raison des croyances de ses parents, supposés appartenir à un mouvement " sectaire ".

L'approche entière de cette Commission dirigée par M. Fenech viole les principes fondamentaux des droits de l'homme. L'article 18 (4) de la Convention internationale sur les Droits Civils et Politiques exige que chaque État "s'engage à respecter la liberté des parents, ou, le cas échéant, des tuteurs légaux, à fournir à leurs enfants une éducation morale et religieuse conforme à leurs propres convictions". De même, le Protocole 1, article 2 de la Convention européenne des Droits de l'homme exige que les États " respectent le droit des parents à éduquer leurs enfants en conformité avec leurs propres convictions religieuses et philosophiques. "

Pour conclure :

Dans son rapport de visite en France, le Rapporteur spécial des Nations-Unies sur la liberté de religion a émis les recommandations suivantes à l'assemblée générale des Nations-Unies :

" 111. La Rapporteuse spéciale forme l'espoir que les futures initiatives de la Miviludes seront conformes au droit à la liberté de religion ou de conviction et qu'elles éviteront les erreurs du passé. Elle continuera de suivre de près les différentes actions qui sont entreprises par la Mission interministérielle.

112. La Rapporteuse spéciale exhorte le Gouvernement à faire en sorte que ses mécanismes chargés de la question de ces groupes religieux ou communautés de conviction livrent un message fondé sur la tolérance, la liberté de religion ou de conviction, et le principe selon lequel nul ne peut être jugé pour ses actes autrement que par les voies judiciaires appropriées. "

La nomination de M. Fenech contrevient à la demande du Rapporteur spécial des Nations-Unies sur la liberté de religion " que les futures initiatives de la Miviludes seront conformes au droit à la liberté de religion ou de conviction et qu'elles éviteront les erreurs du passé". Cette nomination représente un pas en arrière pour la liberté de religion en France.

En raison de ces circonstances :

CAP demande au Premier ministre d'annuler la nomination de M. Fenech au poste de Président de la Miviludes.

CAP demande également respectueusement que le représentant personnel de l'OSCE sur les questions de racisme, xénophobie, et discriminations envers les chrétiens et membres d'autres religions se rende en France et surveille étroitement les activités de la Miviludes et de son nouveau président afin de s'assurer que leurs actions respectent les principes de liberté de religion et de tolérance inscrits dans les accords d'Helsinki.

(1) : Voir la dépêche AFP du 6 avril 2007
(2) : Journal Officiel C 115 du 9 mai 2008 (version consolidée)
(3) : De tels programmes de « sensibilisation » destinés à des magistrats ont été condamnés par le Comité des droits de l’homme des Nations Unies. Dans ses observations conclusives - Comité des droits de l’homme : Allemagne. 18/11/96 (CCPR/C/79/Add.73) - le Comité des droits de l’homme, dans des circonstances remarquablement similaires, a recommandé que l’Allemagne cesse d’organiser des « sessions de sensibilisation destinées aux magistrats, contre les pratiques de certains mouvements désignés comme sectes ». Sinon le droit à un procès équitable est supprimé pour les religions minoritaires.


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