CAP
Liberté de Conscience - Liberté de religion - Liberté
thérapeutique
Jours de folie au Parlement
Par Paul Vinel
septembre 2009
"La voix très émue, selon les témoins,
le président de la commission, Jean-Luc Warsmann (UMP), a "remercié
(ses) collègues d'avoir parlé d'erreur collective parce
qu'(il) ne souhaite à personne de vivre les moments qu'(il) vient
de vivre". Voici ce que rapportaient le Point et dautres
journaux ce 17 septembre 2009. Que sest-il donc passé au
Parlement de si dramatique, et comment en sommes-nous arrivés
là ?
Voici très succinctement le film de cette histoire
ahurissante.
Du 25 mai au 17 juin 2009 sétait tenu
à Paris un procès contre lEglise de Scientologie
en France. Le parquet et les parties civiles ne réclamaient pas
moins que la dissolution de cette association ainsi que de lourdes peines
contre ses dirigeants. Mais ce dont personne ne soufflait mot à
ce moment là, cest que le 12 mai les députés
avaient adopté une loi dite de « simplification du droit
» qui supprimait « la peine de dissolution dune personne
morale en cas descroquerie ». Cette disposition bien précise
est contenu dans larticle désormais fameux, larticle
124. Le texte de loi était dorigine parlementaire et avait
été discutée depuis juin 20008 par la commission
des lois de lAssemblée Nationale sous la présidence
de Jean-Luc Warsmann (UMP).
La demande de dissolution de lEglise de Scientologie
navait donc plus aucune raison dêtre. Par contre dautres
peines, telle linterdiction dexercer, auraient pu être
réclamées et sont encore possibles.
Ce silence quant à cette nouvelle loi était-il
dû à lignorance ou à un calcul stratégique
? Nous ne le saurons sans doute jamais. Les thèses saffrontent
en fonction des affiliations partisanes des protagonistes.
Les avocats de la défense diront plus tard quils
avaient eu vent de cette nouvelle disposition législative, mais
nen avaient pas parlé parce que plaidant la relaxe ils
nétaient pas concernés.
Les avocats des parties civiles affirmeront quant à
eux quils nétaient pas au courant. Cest pourtant
la responsabilité des avocats de se tenir informés des
évolutions législatives et de vérifier que leurs
réclamations et arguments restent conformes à la législation.
Il faut donc les suspecter soit dincompétence sils
ne savaient pas, soit de tentative de manipulation sils savaient
mais se taisaient. Le fait est que quelques mois après, six semaines
avant lénoncé du verdict, un scandale a éclaté
et une tourmente médiatique sensuivait.
Cest le 14 septembre que M. Fenech, président
de la Miviludes, alluma la mèche dune bombe médiatique
et provoqua un tollé immédiat dans les média, la
Justice, le Parlement et le gouvernement. Il révéla au
grand jour cette disposition dite de simplification, cet article 124
qui supprimait la possibilité de dissolution dune personne
morale pour cause descroquerie. Il affirmait ne pas avoir été
mis au courant et se disait absolument scandalisé et il fut très
vite rejoint dans ses accusations par le député JP. Brard,
ténor de la lutte antisecte, ainsi que par dautres députés.
Les syndicats de magistrats et des personnalités telles Corinne
Lepage réclamèrent une enquête pour éclaircir
les conditions délaboration de cette loi controversée.
La Chancellerie mise en cause plaida lerreur matérielle
et promit de corriger celle-ci. Les membres de la commission des lois
argumentèrent de leur bonne foi.
Cela pose la question : comment une telle ignorance
des lois, vraie ou simulée, était-elle possible ? Comment
des individus en charge délaborer et de voter des lois
ne connaissaient-ils pas le contenu des lois queux-mêmes
votent ? De plus les députés antisectes sont nombreux
au Parlement, à commencer par le premier dentre eux, M.
Accoyer président de lAssemblée Nationale. Comment
tant de spécialistes des lois pouvaient-ils ignorer une nouvelle
disposition légale ?
Comme cela sétait déjà produit
par le passé, lEglise de Scientologie fut immédiatement
désignée comme la responsable de cet imbroglio juridico-législatif.
Elle fut accusée par M. JP. Brard davoir infiltré
le Parlement ou la Chancellerie. « Il faut trouver le porte-plume
» fulmina-t-il, demandant une enquête et affirmant que lEglise
de Scientologie avait fait du lobbying et avait réussi à
faire voter cette nouvelle disposition légale dans le seul but
déchapper à sa juste punition : la dissolution.
Mais lEglise de Scientologie avait-elle les compétences
et les moyens pour mener à bien une telle opération :
modifier un article de loi et déjouer lattention vigilante
de dizaines, voire de centaines de personnes vouées à
sa disparition ? Une sorte de « Mission impossible » en
somme ! « Insinuer que l'Assemblée nationale serait infiltrée
par la Scientologie est très grave », avait fait remarquer
M. Jean-Paul Garraud, député UMP. « A aucun moment
durant les dix mois de travail, personne, ni au gouvernement, ni à
lAssemblée nationale ou au Sénat, na émis
dobjection » sest défendu M. Jean-Luc Warsmann.
Selon une dépêche AFP, « trois mois
après la fin de son procès pour escroquerie en bande organisée,
l'Eglise de scientologie a demandé, vendredi 18 septembre, au
tribunal correctionnel de Paris de rouvrir les débats afin de
pouvoir démentir "l'infiltration" dont elle est accusée
après la modification d'une loi empêchant son éventuelle
dissolution. Entendant laver les soupçons pesant sur son client,
Me Patrick Maisonneuve a écrit au tribunal afin de demander la
réouverture des débats, selon des sources proches du dossier.
Si les débats devaient être rouverts, "je ferais citer
des représentants de la commission des lois, dont son président,
afin qu'ils apportent leurs éclaircissements", a ajouté
l'avocat. »
Et aux dernières nouvelles «le président
UMP [M. Bernard Accoyer] de l'Assemblée nationale a affirmé
samedi qu'aucune manuvre n'était à l'origine du
vote qui permet à la Scientologie d'échapper à
une dissolution judiciaire. » LEglise de Scientologie accusée
à tort de manuvre frauduleuse ? Il semblerait bien que
oui !
Cette nouvelle affaire de la Scientologie en est à
ce stade pour linstant. Mais un certain nombre de remarques peuvent
dores et déjà être faites, et des questions
peuvent être posées. Elles démontrent toutes des
disfonctionnements graves de lEtat français et de la démocratie
dans notre pays.
Tout dabord une seule entité a été
publiquement et constamment montrée du doigt et mise en cause,
à savoir lEglise de Scientologie. Parce que le Parquet
et les parties civiles avaient requis sa dissolution, elle était
doffice déclarée coupable et aurait donc agi par
des voies détournées pour échapper à son
jugement. Il sagit là dune double transgression de
la présomption dinnocence : dabord présomption
dinnocence quant aux accusations portées contre elle lors
du procès de mai et juin et tant que le verdict naura pas
été délivré, ensuite présomption
dinnocence vis-à-vis de supposées manuvres
frauduleuses pour faire modifier une loi en sa faveur. Cest très
certainement le disfonctionnement le plus grave : utiliser le lynchage
médiatique pour disqualifier un mouvement spirituel, au mépris
des règles déthique juridique. Il sagit malheureusement
dune attitude constante de la part des acteurs de la lutte antisecte,
et il faut dénoncer avec force ce comportement aussi vil quabject.
Une autre remarque concerne lutilisation du mot
« secte ». Ce terme avait été abandonné,
du moins officiellement, au profit de la notion de dérives sectaires.
La « lutte contre les sectes » montrait à lévidence
combien la France était opposée à lémergence
de nouvelles religions et de nouvelles spiritualités, à
toute nouvelle forme de pensée et de mode de vie. Cette nouvelle
affaire de la Scientologie a fait exploser cette règle de façade
et le terme « secte » a de nouveau été utilisé
sans aucune retenue. Même Mme Michèle Alliot-Marie, ministre
de la justice, a promis une disposition pénale rétablissant
« la dissolution des sectes ». Cela démontre que
dans notre pays il na jamais été question de lutter
contre les véritables dérives sectaires, tels les harcèlements
et les suicides dans les grandes entreprises. Seul compte lopposition
farouche aux minorités de conviction par une minorité
de fanatiques, avec le soutien de lEtat français.
Ensuite la manière dont cette agitation médiatique
a démarré, apparaît douteuse. Comment tant de gens
spécialistes des lois pouvaient-ils ignorer une nouvelle disposition
légale ? Pourquoi désigner exclusivement lEglise
de Scientologie comme coupable alors que bien dautres «
personnes morales » étaient elles aussi bénéficiaires
de cette même disposition de simplification des lois et pouvaient
tout autant être des « coupables » potentielles ?
Mme Danièle Gounord, porte-parole de lEglise de Scientologie,
fait remarquer sur son blog que deux personnes affirment avoir «
découvert » cette disposition légale, au même
moment : M. Fenech dune part, et Me Morice dautre part qui
déclare en avoir averti la Miviludes. Alors deux « découvreurs
» pour un même événement, et en même
temps ? La création dun événement médiatique
pour susciter lémotion est reconnue comme une méthode
efficace pour faire passer une loi, obtenir des votes, etc. Et
à ce propos il faut rappeler que la lutte antisecte a véritablement
pris son essor en France avec le fameux rapport parlementaire de 1995,
suite au drame de lOrdre du Temple Solaire jamais élucidé
faute dune enquête sérieuse.
Enfin il faut parler de la manière dont sont
élaborées et promulguées les lois en France. Le
journal Libération du 17 septembre écrit à ce sujet
: « Quand il passe devant les sénateurs, en octobre 2008,
puis à l'Assemblée, le 12 mai dernier, le texte est validé
tel quel. Sans essuyer la moindre critique. L'alinéa litigieux
n'a pas été remarqué. Les députés
qui crient au scandale en septembre sont ceux qui ont voté la
loi en mai. S'ils sont sincères dans leur révolte, ils
avouent du même coup qu'ils votent des lois sans en connaître
le contenu. » Et citons M. Brard : « Cétait
un texte confus et touffu. Un de ces textes fourre-tout comme il en
existe beaucoup et qui est passé à lesbroufe ».
Pour le Syndicat de la magistrature, au-delà du sort judiciaire
réservée à la Scientologie, cette affaire révèle
"les conditions déplorables dans lesquelles on fabrique
du droit en France".
Il y a donc unanimité pour constater que lélaboration
des lois en France est faite en dépit du bon sens. Voilà
une réforme qui transcende les partis et les opinions, utile
à tous et qui devrait donc être entreprise durgence.
A M. Warsmann et à ses collègues de la
commission des lois nous avons envie de dire les choses suivantes :
vous avez fait lobjet dinsinuations, sommés de donner
des explications, vous avez vécu des moments difficiles que vous
ne souhaitez à personne dautre de vivre. Ces moments pénibles,
des milliers de personnes avant vous les ont vécus, elles étaient
totalement innocentes, elles avaient pour seul tort de ne pas penser
selon les normes officielles, de faire partie dune « secte
». Le moment venu, nous vous demandons simplement de ne plus écouter
seulement les foldingues qui les mettent en accusation, mais également
de les écouter eux, les sans-voix, et de leur donner la parole
pour quils puissent enfin expliquer qui ils sont réellement.
Pour respecter les principes fondamentaux de la démocratie, il
est nécessaire de respecter limpartialité et de
rechercher sincèrement et honnêtement la vérité,
avec de vraies enquêtes de terrain, au lieu de taper systématiquement
sur les « sectes » toutes regroupées sous ce vocable
infamant et de vouloir faire peur aux gens avec cet épouvantail.