«
Certains priaient Jésus, Jéhovah ou Vichnou »
(«
Nuit et brouillard » chanson de Jean Ferrat)
La
page daccueil de Yahoo du 10 février dernier, sous le titre «
Lhomme qui refusa de faire le salut nazi », évoquait,
photo à lappui, le cas dAugust Landmesser un allemand qui
refusa de faire le salut nazi au milieu dune foule enrégimentée
et endoctrinée « qui lève le bras à lunisson
». Bel exemple de courage, de refus dêtre mouton de Panurge.
Dautres
personnes ont su dire non durant cette époque particulièrement
dramatique. Il est regrettable que leur évocation échappe constamment
aux médias et aux dirigeants politiques. Plongeons, si vous le voulez
bien, dans lhistoire des années 1924-1945.
En
1924, Hitler rédige, avec laide dun prêtre catholique
: Bernard Stempfe, son livre Mein Kampf (mon combat). Dès cette époque,
Hitler vise les Francs-maçons et les Juifs (le Vatican lui fera ajouter
par la suite les
Témoins de Jéhovah, une église
particulièrement dérangeante compte tenu de son attachement
au christianisme originel). Ces minorités seraient responsables des
difficultés de lAllemagne. Cet écrit préconise,
pour sen débarrasser définitivement lutilisation
des gaz asphyxiants.
Dès
son arrivée au pouvoir, en janvier 1933, Hitler exécute son
plan et envoie dans les camps de concentration ou dextermination des
groupes entiers dhumains : Juifs, Tziganes, communistes, Témoins
de Jéhovah, Francs-maçons, homosexuels
Durant
cette période, les Témoins de Jéhovah ont collectivement
en tant que religion attachée au christianisme, et individuellement
affirmé leur authenticité, leur sincérité, leur
foi, leur fermeté, leur attachement aux valeurs chrétiennes
: respect de la vie, pacifisme, fraternité universelle. Ils poursuivirent
avec dignité et endurance leur combat pour ces « valeurs de notre
civilisation judéo chrétienne », un thème qui semble
revenir au premier plan de lactualité politique
Une
résistance collective
Leur
résistance au nazisme, au fascisme, à lassassinat programmé,
au génocide leur valurent de terribles persécutions : arrestations,
privations, mauvais traitements, travaux forcés dans le froid, le manque
de nourriture, les épidémies, les « expériences
médicales » inutiles sous légide des « médecins
maudits », les « liquidations » brutales (pendaisons, pelotons
dexécution
), la lente agonie.... 10.000 connurent les camps
de concentration (certains y passèrent
12 ans, de 1933 à
1945), 2.000 y moururent. Les Témoins de Jéhovah étaient
connus dans ces camps de la mort sous le nom des Triangles violets.
A
la fin de la guerre, des personnalités ont tenu à apporter leur
témoignage sur ce NON MASSIF qui a été opposé
au nazisme et au fascisme par cette petite église chrétienne.
«
(
) Jai pu en effet, éprouver en Allemagne, lorsque jy
étais interné, la fermeté et la fidélité
de conviction de vos amis, cest pour cela que jaccepte volontiers,
dêtre témoin des « témoins de Jéhovah
».
Et
jinterviens par même courrier auprès du Préfet de
police afin quil vous rende lautorisation dexercer librement
votre culte (
)
Lettre
de Léon Blum en date du 21 avril 1947
(Ancien
chef du gouvernement français, un juif déporté)*
==========
«
Je suis heureuse de pouvoir vous donner mon témoignage sur les étudiants
de la Bible (Bibelforscherinnen) que jai rencontrées au camp
de Ravensbrück.
En
effet, jai pour elles une véritable admiration. Elles appartenaient
à différentes nationalités : allemande, polonaise, russe
ou tchèque et ont subi pour leurs croyances de très grandes
souffrances admiration.
Les
premières arrestations avaient eu lieu depuis dix ans et la plupart
de celles qui avaient été amenées au camp à ce
moment là étaient mortes des mauvais traitements quon
leur avait fait subir ou avaient été exécutées.
Jai
connu cependant quelques survivantes de cette époque et dautres
prisonnières arrivées plus récemment ; toutes faisaient
preuve dun très grand courage et finissaient par en imposer aux
S.S. eux-mêmes. Elles auraient pu être libres sur le champ si
elles avaient renoncé à leur foi. Au contraire, elles ne cessaient
de résister, réussissant même à introduire dans
le camp des livres et des tracts qui ont valu la pendaison à plusieurs
dentre elles.
De
plus, restant fidèles à leur croyance, la plupart dentre-elles
ont toujours refusé de prendre part à des industries de guerre
ce qui leur a valu de mauvais traitements et même la mort (
) »
(Lettre
de Mme Geneviève de Gaulle, nièce du général de
Gaulle, écrite le 8 août 1945)
==========
Linternement
des Témoins de Jéhovah est du à leur refus de servir
dans les armées de nazies, de faire le salut dallégeance
à Hitler, de participer à leffort de guerre.
Une
résistance collective
Composée de milliers dactes
individuels
Ces
actes de courage se comptent par milliers. Les pages manqueraient pour les
relater tous. Comment peut-on, en quelques lignes, rendre hommage à
ces chrétiens authentiques qui ont su dire NON à un moment dramatique
de lhistoire de lhumanité ? Comment rendre hommage à
cette multitude de combats individuels dont un grand nombre est resté
méconnu ?
Quels
récits choisir ?
-
Celui de la petite française Simone Arnold qui, à lâge
de 13 ans, est demeurée ferme dans ses convictions malgré les
pressions. Condamnée à deux reprises par le tribunal de Constance,
elle sera placée dans une maison de redressement
en Allemagne
?
-
Celui de la famille allemande Kusserow, composée de onze enfants qui
sont enlevés aux parents, les membres déportés (Dachau,
Ravensbrück) et deux garçons assassinés : Wilheim (fusillé
le 26 avril 1940), Wolfgang (décapité en 1942) ?
-
Celui du français, Louis Piéchota déporté et qui
survit à « la marche de la mort » lorsque les nazis évacuèrent,
devant lavancée russe, les camps de concentration ?
-
Le sacrifice dAugust Dickmann qui, âgé de 27 ans, demeure
ferme malgré les insultes, les menaces, les pressions des nazis lenjoignant
de renoncer à sa foi. Devant plus de 600 coreligionnaires rassemblés
dans la cour du camp de Sachsenhausen, il maintient sa position et est publiquement
assassiné par trois S.S. ?
-
Celui de Marcel Sutter, un jeune alsacien, qui en raison de son refus de servir
sous luniforme nazi a été décapité à
lâge de 23 ans, en 1942 ?
-
Celui d »Hélène Gothold, arrêtée en 1937
à lâge de 41 ans. Frappée à coups de bâton,
elle perd lenfant quelle porte. Elle sera guillotinée le
4 août 1944 ?
Le
choix des récits ne fait pas défaut. Tous ces hommes, ces femmes
et ces enfants ont refusé de sincliner, davaliser lhorreur,
de se commettre, de se salir, de capituler.
Des
Etats ont tenu à immortaliser leur combat en linscrivant dans
la mémoire collective de leurs peuples.
Ainsi,
les Etats-Unis dAmérique ont construit un musé de lHolocauste
à Washington afin de perpétuer le souvenir de tous les groupes
persécutés par les nazis. Une revue américaine, lors
de linauguration de ce centre en 1993, a écrit :
Ce
musée devrait être dun intérêt tout particulier
pour les Juifs et les Témoins de Jéhovah, américains
ou étrangers, groupements religieux particulièrement visés
par le génocide décidé par le régime hitlérien
»
Et
en France ? Sagissant des Témoins de Jéhovah, ce serait
plutôt loubli le plus complet. Il est vrai que lévocation
de ces combats anciens sharmonise mal avec une politique étatique
trentenaire faite de discriminations, de contre-vérités, de
nuisances. Washington à son musée, la France a sa Miviludes
et son Unadfi. Toutes les civilisations ne se valent pas au niveau des droits
de lhomme ? La question mérite dêtre posée
! Qui pourrait le nier ?
«
(
) Peut-être la persécution systématique des chrétiens
devrait-elle être, pour les partisans de la liberté, un signal
dalarme, avertisseur de tyrannie totalitaire »
(Extrait
de « Mémoire de Témoins 1933-1945 »)
La
Liberté est indivisible. Elle existe ou elle nexiste pas. Mais,
on ne peut la fractionner afin den exclure certains groupes ou individus.