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Dans une enquête impressionnante, l'historien Guillaume Lachenal exhume ce "scandale pharmaceutique" qui en dit beaucoup sur la colonisation. Extraits. 14 novembre 1954, au Cameroun. Comme chaque année, le Service dhygiène mobile et de prophylaxie (SHMP) fait étape à Gribi, petite communauté à lEst du pays, pour linjection annuelle de Lomidine. Soulager lAfrique de la maladie du sommeil est la priorité des services de santé coloniaux daprès-guerre, en même temps que lemblème de leur médecine tropicale triomphante et sociale. Six ans déjà que, du Congo belge au Sénégal, des camions sillonnent le continent noir, pour la «piqûre de la santé» contre le trypanosome, parasite aux allures de dragon microscopique responsable de la maladie. Tandis quen métropole la mouche tsé-tsé tourbillonne sur limagier de lécolier, la politique sur le continent noir cest la piqûre pour tous - on parle de «lomidinisation totale». Les villageois nont pas le choix, le traitement est obligatoire en dépit de labolition du Code de lindigénat, et selon un rituel désormais familier: les longues files dattente sous un soleil sans pitié, les prélèvements sanguins, lexamen de chaque lame de sang par des auxiliaires recrutés parmi les autochtones et chargés de sassurer que lon ne piquera pas des gens déjà malades, le traitement étant administré à titre préventif et efficace en cela du moins croit-on savoir car, dans quelques années, la vérité va se révéler toute autre. Linjection dans la fesse est très douloureuse. Des effets secondaires plus que préoccupants sont minimisés dans toutes les publications (déjà): vertiges, vomissements, diarrhées, baisse brutale de la tension artérielle, si bien quon impose parfois le repos après la piqûre et ce sont des villages entiers qui se retrouvent allongés sur le sol. Beaucoup, pris de peur, partent en courant quand arrive le dispensaire laboratoire - mobile, le «hangar médical» dit-on dans les années 1950. Cest donc dans ce contexte que les infirmiers à Gribi «lomidinisent» en ce 14 novembre 1954 plus dun millier dAfricains. Et là, catastrophe. En quelques jours, vingt-huit personnes vont mourir de gangrène gazeuse, nécrose fulgurante des tissus; une centaine dautres sont «gravement atteints», fesse et cuisses enflées, les muscles présentant des signes déclatement et de pourriture. Linquiétude et la tristesse semparent de tous ceux qui ont été piqués. Ils ont peur de mourir. A lheure des bilans dans les années 60, des dizaines de drames similaires seront recensés. De nouvelles expériences démontreront que la Lomidine, loin davoir un effet préventif, agissait en réalité à laveuglette en empêchant la maladie de se propager. Et sa dangerosité plus jamais ne sera niée. Il revient à Guillaume Lachenal davoir exhumé lhistoire méconnue de cette poudre injectée plus de dix millions de fois au cours des années 50 et dont chaque trace fut archivée par le pouvoir colonial mais à des fins doubli. Le chercheur a mis des années à localiser les cartons de documents des anciennes usines Rhône-Poulenc de Saint-Fons, où fut conditionnée la poudre, ce qui lui inspire quelques pages senties sur larchivage comme sépulture administrative. Ce récit ouvre aussi une fenêtre sur la logique raciale des médecins coloniaux et «la part de déraison que contenait leur propres principes de rationalité, dautorité, de scientificité, ce que jappellerais leur bêtise», écrit lauteur en ouverture de cet impressionnant travail denquête.
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