ÉDITORIAL
CAP Liberté de Conscience - juin 2009

 

Et l’homme créa l’Alien à son image

par Paul Vinel

C’était pareil à un lancement de film hollywoodien : interviews à la télévision, articles dans les journaux, suspens, informations exclusives et fuites savamment distillées. Cela aurait pu s’appeler « Le retour des Aliens », série à grand spectacle pour faire frissonner d’horreur les Français avides de sensations fortes. C’était la sortie du rapport de la Miviludes.

Les Aliens sont des entités fictives issues du monde cinématographique. Ils ont la capacité de susciter des peurs irraisonnées de la part des personnages du film et également auprès des spectateurs dans la salle. L’Alien est une créature étrange issue de l’industrie cinématographique. Il représente l’inconnu, le sujet qui craint sa présence développe une méfiance absolue, il est par définition capable de tout ce qui peut surprendre la vigilance, il aurait la capacité de faire tout ce qu’un sujet humain ne peut ni faire ni même envisager comme possible. La terreur est maximale. « Une entité purement viscérale, conduite par le seul désir de chasser, tuer ». « Alors non seulement, elle est capable de te bouffer de l’intérieur mais en plus, quand elle grandit, elle bave et elle a le sang acide. »

Entre les Aliens et la manière dont les « sectes » sont perçues, de nombreuses similitudes existent. « Alien » est un mot anglais signifiant étrange ou étranger. Et les « sectes » sont effectivement perçues comme étranges par leurs détracteurs qui tout naturellement considèrent leurs membres comme des étrangers dans leur propre pays. « Alien » provient du latin « alienus » à l’origine des mots « aliéné, aliénation » indiquant l’appartenance à une autre personne, à une autre croyance. Cela renvoie indiscutablement à la notion de manipulation mentale, c'est-à-dire la capacité qu’auraient les « sectes » d’aliéner malgré elles des personnes ordinaires à leurs croyances étranges. Les anti-sectes qualifient les croyances véhiculées par les « sectes » d’aliénations mentales.

La peur face à des êtres humains répond à des critères purement objectifs et raisonnés parce qu’il est possible d’anticiper leur comportement et donc de se défendre. La peur face à un Alien est totalement irraisonnée, c’est la peur de l’inconnu, elle obéit à des pulsions archaïques, la raison n’y a plus sa place. Ce même archaïsme se retrouve dans la peur des « sectes ». Celles-ci sont proches géographiquement, mais apparaissent étranges et totalement inconnues à la plupart des gens. Pour justifier leurs peurs irraisonnées, ceux-ci en viendraient alors à imaginer une entité mythique, une fantasmagorie, un Alien appelé « secte » sur lequel ils projetteraient toutes leurs peurs. D’où la raison des critères sectaires mis en avant par la Miviludes. S’agissant de personnes cupides, avares, elles accuseront cet Alien fantasmé de tarifs exorbitants, de pratiques financières frauduleuses. S’agissant de personnes, rusées, menteuses, manipulatrices, elles l’accuseront de manipulation mentale, d’abus de faiblesse. Ils créeront l’Alien à leur image.

Cette panique archaïque sert de fil conducteur à tout le rapport de la Miviludes. Elle est parfaitement illustrée par l’omniprésence des termes « sectes », «groupes sectaires », « « dérives sectaires », et par l’absence totale et injustifiée de toute définition de ces mêmes termes. Seule, compte la charge émotionnelle pour générer la panique ; la signification intellectuelle n’y a pas sa place. L’absence des sociologues dans les rangs de la Miviludes en est une autre illustration : usant de leur intelligence et de leur raison, ces scientifiques n’ont en effet rien à faire au sein de personnes prisonnières de leurs peurs archaïques.

Le raisonnement des anti-sectes peut apparaître rigoureux et logique. Et il l’est le plus souvent. Mais il est biaisé parce que son hypothèse de départ, « les sectes sont dangereuses », est fausse, elle est le résultat non d’un processus rigoureux et scientifique mais d’une peur archaïque et irraisonnée. Les conclusions qui en découlent n’ont de ce fait aucune valeur. Les sociologues tirent désespérément la sonnette d’alarme pour rétablir la vérité mais ne sont pas écoutés. Les anti-sectes n’acceptent tout simplement pas de se remettre en question.

La peur de l’Alien a, par le passé, produit des conséquences catastrophiques : le nazisme et ses millions de victimes, tous les racismes ainsi que les guerres interethniques et interreligieuses. En France, cette peur de l’Alien s’est traduite récemment par la peur des « sectes ». Mais devant la lenteur des pouvoirs publics à se remettre en cause, c’est le recours auprès des instances de l’ONU et de l’Europe qui doit être envisagé.

Parce qu’au final, sur cette terre injuste, tout se résume à savoir aimer l’étranger. Pour la paix, pour l’amour, dès que l’autre n’est plus du tout comme toi, il est étranger, et tu as peur, tu ne le comprends pas, tu le tortures, tu le rejettes, même si lui il veut t’aimer, te comprendre, t’aider. Aimons l’étranger, et peut être guérir le monde, et nous… (David Bowie - Loving The Alien).

 

 

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