Arrêt
de chambre Nolan et K. c. Russie
COUR
EUROPÉENNE DES DROITS DE LHOMME
Communiqué
du Greffier
ARRÊT
DE CHAMBRE
NOLAN
ET K. c. RUSSIE
La
Cour européenne des droits de lhomme a communiqué
aujourdhui par écrit son arrêt de chambre1 dans laffaire
Nolan et K. c. Russie (requête no 2512/04) concernant lexpulsion
du requérant de Russie.
La
Cour conclut,
par six voix contre une, que le gouvernement russe a manqué à
son obligation au titre de larticle 38 § 1 (a) (fournir toutes
facilités nécessaires pour examiner laffaire) de
la Convention européenne des droits de lhomme,
à lunanimité, à la violation de larticle
5 §§ 1 et 5 (droit à la liberté et à
la sûreté) de la Convention,
à lunanimité, à la violation de larticle
8 (droit au respect de la vie privé et familiale) dans le chef
de M. Nolan et de son fils,
à lunanimité, à la violation de larticle
9 (droit à la liberté de pensée, de conscience
et de religion), et
par six voix contre une, à la violation de larticle 1 du
Protocole no 7 (garanties procédurales en cas dexpulsion
détrangers) à la Convention.
En
application de larticle 41 (satisfaction équitable), la
Cour alloue à M. Nolan 7 000 euros (EUR) pour préjudice
moral, ainsi que 810 EUR pour frais et dépens.
1.
Principaux faits
Les
requérants, Patrick Francis Nolan, et son fils, K., sont des
ressortissants des Etats-Unis dAmérique nés respectivement
en 1967 et en 2001 et habitant à Tbilissi (Géorgie). M.
Nolan a la garde unique de lenfant. Il est membre et missionnaire
de lEglise de lunification, un mouvement spirituel fondé
en 1954 par M. Sun Myung Moon.
En
1994, lEglise de lunification demanda à M. Nolan
de laider à exercer ses activités en Russie. Le
ministère des Affaires étrangères de la Russie
délivra à M. Nolan un permis de séjour valable
pour une durée dun an renouvelable. Il travaillait à
Rostov-sur-le-Don (Russie du sud) avec les antennes locales de la Fédération
des familles pour la paix mondiale et lunification (FFWPU).
En
janvier 2000, le concept de sécurité nationale de la Russie
fut modifié par le président russe en exercice, dans ces
termes : « La garantie de la sécurité nationale
de la Russie sentend également de lopposition à
linfluence négative dorganisations et de missionnaires
étrangers ... ».
En
août 2001, la FFWPU de Rostov fut dissoute par le tribunal de
district au motif quelle navait pas notifié, pendant
plus de trois ans, la poursuite de ses activités aux autorités
denregistrement.
En
octobre 2001, M. Nolan fut convoqué par la police de Rostov qui
lui demanda son passeport sur lequel elle apposa un cachet mentionnant
la fin de son enregistrement de résidence.
Le
requérant se fit ensuite enregistrer auprès de la police
par le biais dautres antennes de la FFWPU, dabord à
Novorossiysk puis à Krasnodar, où son enregistrement de
résidence était valide jusquau 19 juin 2002.
Le
19 mai 2002, M. Nolan se rendit à Chypre. Son fils demeura en
Russie avec sa nourrice. A son retour, lors de son arrivée à
laéroport de Moscou dans la nuit du 2 juin 2002, M. Nolan
fut conduit par les autorités de contrôle des passeports
dans le hall de transit de laéroport. Là, il fut
prié dattendre et enfermé dans une petite pièce
dépourvue de téléphone, daération
et de fenêtre. On lui indiqua que son visa avait été
annulé et on lui dit de sétendre et de dormir jusquau
lendemain matin.
Le
3 juin, dans la matinée, après avoir frappé contre
la porte et crié pendant 20 minutes, le requérant eut
le droit de quitter la pièce en compagnie dun garde pour
se rendre aux toilettes. On lui déclara quil navait
pas le droit de passer la frontière russe sans lui donner dautre
explication.
M.
Nolan acheta un ticket pour Tallin (Estonie) et fut accompagné
par un garde-frontière jusquà son embarquement dans
lavion. On lui rendit son passeport mais pas son visa.
En
juin 2002, M. Nolan envoya plusieurs lettres à différents
organismes officiels pour demander pourquoi on lui avait refusé
lentrée sur le territoire russe et on lavait placé
en détention. Il se plaignit également davoir été
détenu pendant plus de neuf heures ce qui avait privé
de tout parent son fils âgé de onze mois demeuré
en Russie. Il demanda quon laidât à rejoindre
son fils. Nombre de ses griefs restèrent sans réponse.
En
juillet 2002, alors quil passait la frontière entre la
Finlande et la Russie, et bien quil fût en possession dun
nouveau visa à entrées multiples valide, on lui refusa
de nouveau lentrée sur le territoire russe.
En
août 2002, M. Nolan attaqua la décision lui interdisant
de rentrer en Russie mais, en mars 2003, le tribunal régional
de Moscou le débouta. Dans son jugement, qui sappuyait
sur un rapport dexpert du service fédéral russe
de sécurité (FSB) en date du 18 février 2002, le
tribunal déclarait que « les activités [du requérant]
étaient de nature destructrice et constituaient une menace pour
la sécurité de la Russie. » Sagissant de la
détention de M. Nolan pendant une nuit, le tribunal concluait
que le requérant navait pas été privé
de sa liberté. Il relevait par ailleurs que les autorités
russes navaient pas empêché le requérant de
retrouver son fils dans tout pays autre que la Russie.
La
Cour suprême de Russie rejeta ensuite le pourvoi de M. Nolan en
fondant son arrêt sur la compétence administrative du FSB
et de la police des frontières en matière de sécurité
nationale et de contrôle aux frontières.
Le
12 avril 2003, M. Nolan retrouva son fils que sa nourrice, de nationalité
ukrainienne, avait amené en Ukraine.
Malgré
les demandes répétées de la Cour européenne,
le gouvernement russe na pas fourni de copie du rapport du FSB
du 18 février 2002 qui aurait permis délucider les
raisons de lexpulsion du requérant hors du territoire russe.