Conseil
d’État
statuant
au contentieux
N° 304053
Publié au Recueil Lebon
Juge des référés
M.
Delarue, Président
BLONDEL ; SCP TIFFREAU
Lecture
du 30 mars 2007
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu
la requête, enregistrée le 26 mars 2007 au secrétariat du contentieux
du Conseil d’Etat, présentée pour la VILLE DE LYON, représentée par
son maire en exercice, domicilié en cette qualité à l’hôtel de ville
de Lyon (69000) ; la VILLE DE LYON demande au juge des référés du Conseil
d’Etat :
1°)
d’annuler l’ordonnance du 15 mars 2007 par laquelle le juge des référés
du tribunal administratif de Lyon, statuant sur le fondement de l’article
L. 521-2 a suspendu l’exécution de la décision par laquelle le maire
de Lyon a refusé de louer une salle municipale à l’association locale
pour le culte des Témoins de Jéhovah de Lyon Lafayette et a enjoint
au maire de louer cette salle ou une salle équivalente à cette association
pour la soirée du 2 avril 2007 ;
2°)
statuant au titre de la procédure de référé, de rejeter la demande présentée
par l’association locale pour le culte des Témoins de Jéhovah de Lyon
Lafayette comme irrecevable et, subsidiairement, comme mal fondée ;
3°)
de mettre à la charge de l’association locale pour le culte des Témoins
de Jéhovah de Lyon Lafayette le versement d’une somme de 5 000 euros
au titre de l’article L. 7611 du code de justice administrative ;
elle
soutient que le juge des référés ne pouvait, sans erreur de droit, enjoindre
à la ville de mettre la salle à la disposition de l’association, une
telle mesure n’ayant aucun caractère provisoire ; qu’il a dénaturé les
conclusions dont il était saisi et statué ultra petita dès lors que
l’association ne demandait ni la suspension de la décision ni éventuellement
la location d’une autre salle ; qu’il a statué sur des conclusions irrecevables
dès lors que la demande portait sur l’exécution d’une mesure n’ayant
pas un caractère provisoire ; subsidiairement, que l’ordonnance est
entachée d’insuffisance de motivation dès lors qu’elle ne précise pas
en quoi les conditions de l’article L. 521-2 sont réunies ; que la condition
d’urgence n’est pas remplie dès lors que l’association, à qui une décision
de refus implicite avait été opposée dès le 8 janvier 2007, pouvait
accéder à une autre salle ; qu’il n’y a pas d’atteinte grave à une liberté
fondamentale pour la même raison ; que le refus de la ville ne peut
être regardé comme portant une atteinte illégale à une liberté fondamentale
dès lors que la collectivité, qui pratique des tarifs de location de
salles inférieurs à ceux du marché, avait compétence liée pour refuser
de subventionner une association qui a un caractère cultuel, en application
de la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat ; qu’en
tout état de cause l’illégalité ne saurait être regardée comme manifeste
;
Vu
l’ordonnance attaquée ;
Vu,
enregistrés le 28 mars 2007, les mémoires présentés pour l’association
locale pour le culte des Témoins de Jéhovah de Lyon Lafayette ; l’association
conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de
la VILLE DE LYON une somme de 4 800 euros au titre des dispositions
de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; elle soutient
que le juge n’a nullement méconnu les termes de la demande qui lui était
présentée ; que l’article L. 521-2 du code de justice administrative
permet au juge de prononcer une injonction indépendamment d’une mesure
de suspension ; qu’il appartient au juge des référés d’exercer ses pouvoirs
pour assurer l’exercice effectif des libertés fondamentales ; que la
ville a entendu s’opposer à la demande parce qu’elle a estimé que l’association
n’était pas au nombre de celle à qui une salle pouvait être louée ;
que le caractère d’association cultuelle de la défenderesse ne pouvait
faire obstacle à ce qu’une salle municipale lui soit louée ; que la
condition d’urgence est satisfaite dès lors que l’association, qui a
présenté sa demande dès le 8 novembre 2006, sans obtenir de réponse,
entend célébrer une fête religieuse le 2 avril ; qu’aucun motif d’ordre
public ne justifie le refus ; que la ville ne justifie pas davantage
que le tarif de location des salles municipales est inférieur au tarif
des autres salles ; que la location d’une salle ne saurait être regardée
comme une subvention ; que la décision de refus méconnaît les principes
constitutionnels de la liberté d’association et de la liberté de réunion
et celui d’égalité devant le service public ; que l’association a cherché
d’autres salles et c’est faute d’en trouver qu’elle a maintenu la demande
qu’elle a adressée à la VILLE DE LYON ; Vu, enregistré le 29 mars 2007,
le mémoire en réplique présenté pour la VILLE DE LYON qui conclut aux
mêmes fins que sa requête et par les mêmes moyens, et en outre par les
moyens que l’association locale pour le culte des Témoins de Jéhovah
Lyon Lafayette a mené sans succès deux demandes de location de salle
et qu’elle disposait du temps nécessaire aux dates auxquelles elle était
en possession de décisions implicites de refus pour rechercher une autre
salle ; qu’elle n’établit pas avoir réalisé une telle démarche ; que
la condition d’urgence n’est donc pas remplie ; que les tarifs de location
des salles municipales sont très inférieurs à ceux prévus pour des spectacles
ou des manifestations publiques payantes ; que les salles municipales
ne peuvent devenir le lieu de manifestations à caractère religieux sans
méconnaître le principe de laïcité ;
Vu
les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution ;
Vu le code général des collectivités territoriales, notamment son article
L. 2144-3 ;
Vu la loi du 9 décembre 1905, notamment son article 2 ;
Vu le code de justice administrative ;
Vu le code de justice administrative ;
Après
avoir convoqué à une audience publique, d’une part, la VILLE DE LYON,
d’autre part, l’association locale pour le culte des Témoins de Jéhovah
Lyon Lafayette ;
Vu
le procès-verbal de l’audience publique du jeudi 29 mars 2007 à 15 heures
au cours de laquelle ont été entendus :
-
Me Tiffreau, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat
de la VILLE DE LYON ;
-
Me BLONDEL, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat
de l’association locale pour le culte des Témoins de Jéhovah Lyon Lafayette
;Sur la régularité de l’ordonnance :
Considérant
qu’aux termes de l’article L. 511-1 du code de justice administrative
: « Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère
provisoire ( ). » ; qu’aux termes de l’article L. 521-2 du même code
: « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge
des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde
d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public
( ) aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte
grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans
un délai de quarante-huit heures » ; qu’il résulte de ces dispositions
que les décisions prises par le juge des référés n’ont, en principe,
qu’un caractère provisoire ; qu’il lui appartient ainsi, lorsqu’il est
saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative
et qu’il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée
par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale,
de prendre les mesures provisoires qui sont de nature à faire disparaître
les effets de cette atteinte ; que, toutefois, lorsqu’aucune mesure
de caractère provisoire n’est susceptible de satisfaire cette exigence,
en particulier lorsque les délais dans lesquels il est saisi ou lorsque
la nature de l’atteinte y font obstacle, il peut enjoindre à la personne
qui en est l’auteur de prendre toute disposition de nature à sauvegarder
l’exercice effectif de la liberté fondamentale en cause ; qu’il en va
ainsi notamment lorsque l’atteinte résulte d’une interdiction dont les
effets sont eux-mêmes provisoires ou limités dans le temps ;
Considérant
que la VILLE DE LYON relève appel de l’ordonnance, en date du 15 mars
2007, par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de
Lyon a, d’une part, suspendu l’exécution de la décision par laquelle
le maire de Lyon a opposé un refus à la demande de location de la salle
municipale Victor Hugo présentée par l’association locale pour le culte
des Témoins de Jéhovah Lyon Lafayette, d’autre part enjoint à la ville
de mettre à la disposition de l’association, au jour qu’elle avait demandé,
le 2 avril 2007, dans le but de permettre à ses adhérents de célébrer
une fête religieuse, une salle municipale ; que si le juge a ainsi enjoint
à la ville de prendre une disposition qui n’avait pas de caractère provisoire,
la nature de l’interdiction opposée à l’association et ses effets permettaient
au juge des référés, pour sauvegarder la liberté de réunion dont il
a décidé qu’il y était gravement porté atteinte de manière manifestement
illégale, d’enjoindre au maire d’autoriser l’association à louer une
salle municipale aux jour et heure qu’elle avait sollicités ; que, par
suite, contrairement à ce que soutient la VILLE DE LYON, l’ordonnance
dont elle relève appel ne s’est pas prononcée sur des conclusions irrecevables
et n’a pas méconnu la portée des dispositions de l’article L. 521-2
du code de justice administrative ;
Considérant
que l’association locale pour le culte des Témoins de Jéhovah Lyon Lafayette
s’est bornée à demander au juge des référés du tribunal d’enjoindre
à la VILLE DE LYON de l’autoriser à louer une salle municipale pour
la célébration prévue le 2 avril ; que, toutefois, le refus exprès adressé
par l’adjoint au maire, en réponse à l’association, indiquait qu’il
ne serait pas donné de suite favorable à sa demande ; qu’ainsi, en décidant
que l’injonction adressée à la ville de louer une salle municipale impliquait
que soit au préalable suspendue sa décision de refus, alors même que
cette suspension n’avait pas été demandée, le juge des référés, à qui
il incombait d’ordonner toutes mesures nécessaires pour la sauvegarde
des libertés auxquelles il était porté atteinte, n’a pas, contrairement
à ce que soutient la ville, statué ultra petita ;
Considérant
qu’après avoir indiqué les motifs pour lesquels il décidait que la condition
d’urgence propre aux dispositions de l’article L. 521-2 était satisfaite,
le juge des référés a pris soin de relever que la VILLE DE LYON n’établissait
pas que sa décision de refus de location de salle était justifiée par
un motif d’ordre public et que le prix plus favorable que les tarifs
des salles privées auquel serait soumise l’association ne saurait être
regardée comme une subvention à un culte prohibée par la loi du 9 décembre
1905 ; qu’il en a déduit qu’une atteinte grave et manifestement illégale
a été portée aux libertés d’association et de réunion ; qu’il a ainsi
suffisamment motivé sa décision ;
Sur
la décision de refus :
Considérant
qu’aux termes de l’article L. 2144-3 du code général des collectivités
territoriales : « Des locaux communaux peuvent être utilisés par les
associations, syndicats ou partis politiques qui en font la demande./
Le maire détermine les conditions dans lesquelles ces locaux peuvent
être utilisés, compte tenu des nécessités de l’administration des propriétés
communales, du fonctionnement des services et du maintien de l’ordre
public. ( ) » ;
Considérant
que, ainsi l’a relevé le juge des référés, l’association locale pour
le culte des Témoins de Jéhovah Lyon-Lafayette a sollicité la location
de la salle Victor Hugo pour le 2 avril 2007, de 18h30 à 22h30, dès
le 8 novembre 2006 ; que si elle était ainsi titulaire d’une décision
de refus le 9 janvier 2007, elle a, d’une part, cherché à connaître
les motifs de ce refus, d’autre part, tenté de louer une autre salle,
ainsi qu’il a été précisé à l’audience ; que, dans ces conditions, alors
qu’il lui a été répondu par lettre du 23 février qu’il ne lui serait
pas donné satisfaction, le juge des référés du tribunal administratif
a pu, sans erreur de droit, décidé que la condition d’urgence particulière
exigée par les dispositions de l’article L. 521-2 était satisfaite ;
qu’il a pu aussi juger que le refus opposé à l’association, d’ailleurs
consécutif à d’autres refus de même nature opposés à des associations
identiques et annulés précédemment par le juge administratif, portait
une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de réunion,
qui est une liberté fondamentale, dès lors que la VILLE DE LYON ne faisait
état d’aucune menace à l’ordre public, mais seulement de considérations
générales relatives au caractère sectaire de l’association, ni d’aucun
motif tiré des nécessités de l’administration des propriétés communales
ou du fonctionnement des services, ;
Considérant
que si l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 prohibe les subventions
des cultes par les collectivités publiques, et si l’association locale
pour le culte des Témoins de Jéhovah Lyon-Lafayette doit être regardée
comme une association cultuelle, le prix acquitté par cette association
pour la location de la salle ne saurait être regardé comme une subvention
de la ville au motif que les tarifs des salles municipales seraient
plus avantageux que ceux des salles privées, dès lors que la VILLE DE
LYON n’établit pas, en tout état de cause, que l’association avait la
possibilité de louer une salle privée au jour et aux heures qu’elle
avait déterminés ; que la crainte, purement éventuelle, que les salles
municipales soient l’objet de sollicitations répétées pour des manifestations
à but religieux ne saurait davantage justifier légalement le refus de
la ville ;
Considérant
qu’il résulte de ce qui précède que la VILLE DE LYON n’est pas fondée
à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge
des référés du tribunal administratif de Lyon a suspendu l’exécution
de sa décision de refus et enjoint au maire de louer la salle Victor
Hugo ou une autre salle municipale équivalente le 2 avril 2007 de 18h30
à 22h30 ;
Sur
les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code
de justice administrative :
Considérant
que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative
font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’association locale
pour le culte des Témoins de Jéhovah Lyon Lafayette, qui n’est pas la
partie perdante, la somme que demande la VILLE DE LYON au titre des
frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu,
en revanche, de mettre à la charge de la VILLE DE LYON la somme de 5
000 euros que demande l’association locale pour le culte des Témoins
de Jéhovah Lyon Lafayette au titre des mêmes frais ;
DECIDE
:
O R D O N N E :
Article
1er : La requête de VILLE DE LYON est rejetée.
Article
2 : La VILLE DE LYON versera à l’association locale pour le culte des
Témoins de Jéhovah de Lyon Lafayette la somme de 5 000 euros au titre
de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article
3 : La présente ordonnance sera notifiée à la VILLE DE LYON et à l’association
locale pour le culte des Témoins de Jéhovah de Lyon Lafayette.
Copie
en sera adressée pour information au ministre de l’intérieur et de l’aménagement
du territoire.
Décision
attaquée :
Titrage :
Résumé :
Précédents jurisprudentiels :
Textes cités :
Plein contentieux